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Rien n'est dû, tout est don
23 décembre 2012

Cadeaux de Noël : un don… pas un dû !

Par-delà l'euphorie commerciale qui entoure la période de Noël, notre manière d'offrir, comme de recevoir, en dit long sur notre relation aux autres. Profitons de l'Avent pour redécouvrir le vrai sens du cadeau.
Zoom © Packshot Fotolia

Cent quatre-vingt-dix euros par enfant : le budget consacré à gâter nos têtes blondes à Noël augmente chaque année. Rien n'est trop beau pour eux, gâtés jusqu'à l'écœurement. « L'année dernière, nos petits-enfants ont croulé sous les paquets. Ils les ont à peine regardés », s'alarme une grand-mère.

Cette surenchère matérielle renvoie dans un passé lointain la sobriété des années de pénurie. À 85 ans, Anne-Marie appartient à cette génération pour qui l'orange de Noël avait valeur de trésor symbolique : « Aujourd'hui, on veut nous convaincre que le bonheur se mesure au nombre de cadeaux empilés au pied du sapin ! »

Un vent de paganisme souffle sur la fête de l'Enfant Dieu, travestie en fête de l'enfant roi. Lettre au Père Noël, avalanche des catalogues de jouets distribués bien avant la Toussaint, ou Noëls d'entreprise organisés dès novembre, « difficile de garder les idées claires dans ce climat survolté, admet Béatrice. Les parents sont transformés en distributeurs de cadeaux par des enfants qui prennent tout cela pour un dû. Que reste-t-il du don gratuit ? ». Offrir sans rien attendre en retour est pourtant le plus beau des présents, promet le Père Louis-Marie Chauvet, théologien : « Il permet à l'enfant de comprendre que la gratuité fait vivre et grandir ».

L'urgence est mauvaise conseillère

Avouons qu'en courant les boutiques, liste en main, pestant contre la foule agglutinée au rayon jouets et cette fichue corvée des cadeaux qui nous prend de court chaque année, nous sommes rarement portés à l'ouverture du cœur ! « Chaque année, je me promets de prendre le temps de penser à chacun... Et chaque année, je me laisse déborder, reconnaît Catherine. Inévitablement, j'achète au dernier moment et il m'arrive de tomber à côté ! Le roman que mon beau-père a déjà lu ou les rollers trop petits pour Thibaut. »

Mauvaise conseillère, l'urgence qui nous tient à la gorge nous pousse à l'achat raté. Agendas surchargés, phobie des magasins ou volonté délibérée de boycotter les guirlandes, les retardataires font souvent de piètres généreux.

Noël nous fatigue, nous écœure ou nous irrite ? Nous sommes incapables de choisir un livre pour notre beau-père, ou ne savons rien refuser à notre petit dernier ? Légitime dans cette ambiance de foire clignotante, la confusion qui nous agite est un indicateur précieux. L'écouter et la laisser monter en ce début d'Avent offre l'occasion d'un arrêt sur images. « Est-ce que je peux identifier ce qui, en moi, fait obstruction et me freine dans mon élan vers l'autre ? D'où vient cette tempête intérieure qui me saisit dans cette période de préparatifs ? »

À Noël, Marc est toujours tendu en famille, incapable de se réjouir avec ses enfants quidéballent leurs paquets : « Ridicule, cette manie de jeter l'argent par les fenêtres ! » Des parents austères et des Noëls sans joie ont tari en lui le sens de la fête.

Savoir accueillir ces marques de tendresse

Nos cadeaux sont des marques de tendresse qui témoignent à nos proches que nous les aimons. Porteurs d'une telle charge affective, pas étonnant qu'ils réveillent certaines blessures : blocage du portefeuille ou rapport à l'argent chaotique, peur de manquer ou achats compulsifs, renvoient à des douleurs anciennes, des carences d'enfant que la tradition des cadeaux ravive. Jeanne a tellement souffert d'une enfance sans affection que, pour les siens aujourd'hui, aucun jouet n'est trop beau : « Moi qui ne recevais ni cadeaux, ni marques d'affection, je me rattrape ». Témoignages d'affection, nos présents seraient-ils aussi des demandes d'amour ?

Encore faut-il savoir accueillir ces marques de tendresse sans nous sentir redevables ni empêtrés dans une fausse culpabilité. Recevoir un présent sans interprétation ni scrupule inutiles nous rend aptes à donner. Car la simplicité permet de se laisser transformer et renouveler par le don. Est-ce la raison pour laquelle il est parfois si difficile de remercier ?

La gratitude nourrit la relation

Plutôt qu'un « il ne fallait pas » lâché du bout des lèvres, un « merci » simple et chaleureux exprime la gratitude et le plaisir de se sentir aimé. « J'insiste pour que mes enfants pensent à remercier tous ceux qui les ont gâtés, précise Emmanuelle. Un mot affectueux, un geste de tendresse, une carte adressée au parrain dont le paquet vient d'arriver, leur apprennent à sortir de la passivité facile. »

La gratitude nourrit la relation : donner, c'est partager. La psychothérapeute Isabelle Filliozat poursuit : « Offrir un cadeau, c'est établir un lien entre celui qui offre et celui qui reçoit ». Le présent qui rend vraiment heureux n'est-il pas celui qui correspond à une relation vraie ? Raison de plus pour mettre toute notre attention en éveil avant de passer en caisse : « De quoi mon mari a-t-il envie ? Est-ce que je prends le temps de le découvrir, de m'intéresser à ses passions et de deviner ses attentes ? », s'interroge Dominique. Vécu dans l'écoute de l'autre et l'attention vraie, le don procure une joie profonde parce qu'il pousse à sortir de soi : « Je fais l'épreuve de ma force, de ma richesse. Je m'éprouve comme surabondant, dépensant, vivant, joyeux ! »

Des cadeaux pas totalement gratuits

Pourtant, c'est précisément parce qu'il engage la relation que le cadeau risque ces dérives affectives que se régalent à décoder les spécialistes : « Aucune attention n'est neutre », prévient ainsi Elyane Alleyson, analyste transactionnelle. « Certes, le don n'est pas un investissement, mais il n'est pas non plus totalement gratuit. » En offrant le DVD d'un film romantique à mon mari, n'est-ce pas à moi que je fais plaisir ? L'égocentrisme est un piège insidieux qui entraîne parfois gaffes et maladresses. Celui qui ne sait pas se décentrer et projette sur l'autre ses propres envies manque les occasions de faire vraiment plaisir. De la maquette que ce père offre à son fils parce que lui-même en a toujours rêvé enfant, au cédérom éducatif pour doper les neurones de Juliette, combien de choix tombent à côté !

D'autant que du cadeau malvenu au cadeau empoisonné, le pas est vite franchi : « Le Noël de mes 15 ans, ma mère m'a offert une robe de petite fille modèle ». Brigitte en rit aujourd'hui, mais le message était clair : « Le garçon manqué que j'étais était sommé de se féminiser et de rentrer dans le rang ! »

Cadeau manipulateur ou symbolique, le don peut être une jolie façon de posséder l'autre et de le rendre redevable, piégeant la relation entre dominant et dominé. « Cela me donne un petit pouvoir sur les miens... J'espère secrètement qu'ils m'aimeront encore plus », confie une mère de famille.

Que dire du présent sans imagination, de cette énième cravate choisie d'un œil distrait ou de la robe en taille 42 alors qu'elle fait un petit 36 ? Ils signent un manque d'intérêt blessant. Que penser encore du cadeau utilitaire de celui dont le geste, pour être valable, doit forcément être rentable ? Offrir une centrale à vapeur ou une friteuse familiale manque indéniablement de poésie. Et le cadeau qui cherche à compenser l'absence ? Laurence confie douloureusement : « Dans notre famille recomposée, les enfants sont doublement gâtés. C'est sans doute notre façon de compenser ».

Mais l'emprise sur l'autre fausse le sens profond du don. Le père de famille qui prive son collégien de cadeau à cause d'un bulletin médiocre tombe dans l'abus de pouvoir. Or, promet le Père Louis-Marie Chauvet, « c'est dans la mesure où l'enfant percevra dans ce présent le signe de l'affection et de l'attention de ses parents que sa joie sera profonde et durable ». C'est pourquoi, au fil de l'année, Isabelle a pris l'habitude de glaner la bricole qui touchera chacun  : « À côté du cadeau choisi spécialement pour Noël, nos enfants découvrent toutes ces babioles symboliques qui marquent notre affection de chaque jour ».

« Comment veux-tu, Seigneur, que nous préparions Noël ? » En quatre semaines, l'Avent nous invite à purifier notre façon de donner et notre relation aux autres. Le cadeau serait-il un instrument de conversion intérieure ? Noël nous propose de retrouver l'esprit d'enfance, cette aptitude à nous émerveiller qui se cultive particulièrement pendant l'Avent. « Chacun s'affaire en grand secret. Les plus jeunes préparent des dessins, les aînés piochent dans leurs économies, s'amuse Laure. Le soir de Noël, chacun découvre au pied de la crèche ce que les autres lui ont préparé. Cette joie familiale fait oublier le reste, les difficultés et les souffrances que Noël peut raviver. »

Noël invite à l'allégresse

Concert, spectacle, ou cantique de Noël entonné à la lumière des bougies, à chaque famille ses traditions et ses rituels. L'essentiel est cette attention et ce souci de faire plaisir. N'en déplaise à ceux que guirlandes et paquets rutilants rebutent : Noël invite à l'allégresse. « Dieu nous veut joyeux !, lance Marie-Hélène. C'est bon de faire la fête sans culpabiliser ! » Le Père Louis-Marie Chauvet insiste : « Cessons de dévaluer, au nom de notre foi, notre société de consommation ! Comment pourrions-nous témoigner de l'amour de Dieu pour notre monde si nous-mêmes nous n'aimons pas ce monde ? »

Entre surabondance et austérité, à chacun de trouver son équilibre. Pas besoin de mettre le budget familial en péril : le plus beau cadeau n'est pas le plus tape-à-l'œil. Pour viser juste, il faut être libre : liberté de ne pas tomber dans le panneau de l'achat obligatoire ; liberté intérieure qui protège de la pression ambiante et aide à rester « branché » sur l'essentiel. « Nos garçons ne jurent que par la dernière Gameboy ou le robot Terminator dont leur parlent leurs copains d'école ? C'est parfois dur d'avancer à contre-courant, mais nous essayons de leur apprendre à avoir du recul vis-à-vis des modes, en gardant le goût des choses simples. Oui, c'est important de recevoir des jouets... Mais ce n'est pas l'essentiel ! », explique Sonia.

Prévoir ses achats longtemps à l'avance, comme Anne qui profite des soldes de janvier pour constituer le stock du Noël suivant ; privilégier les ventes par correspondance qui permettent d'éviter les boutiques ; se fixer un budget raisonnable et s'y tenir malgré les tentations : autant de moyens de se libérer l'esprit. Autre idée : « Pour alléger les préparatifs, cadeaux groupés et tirage au sort évitent le casse-tête pour les grands-parents, parrains et marraines ».

Dans l'organisation familiale, toute formule est bonne si elle vise la simplicité et la paix des esprits. Chez Emmanuelle et Laurent, ce sont toujours des cadeaux surprise ; pour Marie-Laure, sac à dos et équipements sportifs permettent de joindre l'utile à l'agréable. Question de sensibilité familiale pour un objectif commun : faire plaisir, en gardant le cap sur ce qui compte vraiment.

Et pourquoi pas un cadeau fait maison ?

Les cadeaux de Noël n'ont de sens que s'ils traduisent nos dispositions intérieures. Pour s'ouvrir au don de soi, priorité à l'anticipation et à la créativité. « Dès le début de l'Avent, nous réfléchissons à la façon dont nous souhaitons vivre Noël. Qui inviter ? Quoi offrir ? Grands et petits prennent ensuite le temps d'installer la crèche et de décorer la maison. Puis vient la phase bricolage : même si le contenu est modeste, chacun rivalise d'imagination... et met le paquet ! », raconte un couple.

Au grand-père mélomane, un CD gravé du concert de l'école ; à la cousine adolescente, un pendentif fait main ; au voisin de palier,  une boîte de truffes maison. Le bricolage est une incomparable école d'expression qui favorise l'attention à l'autre. « Les cadeaux que nos petits-enfants fabriquent, cousent, peignent ou brodent ont été concoctés avec amour, se réjouit Élisabeth. Ils viennent du cœur et vont droit au cœur ! » Un présent réussi signe souvent une attention aimante mûrie dans le temps. Des mois de patience dans cette famille, pour réunir dessins, photos et prose de chaque enfant : « Nos grands-parents sont très âgés, nous avons choisi, pour ce Noël, de leur offrir l'album de notre famille ».

Attention toutefois aux traditions figées et aux schémas incontournables qui font dire à Laure : « Je déteste les Noëls qui se répètent d'une année sur l'autre ! ». Laisser place à l'imprévu dérange les plans, mais apprend que « donner, c'est... se donner ». Au sein du mouvement des Focolari, Chantal Grevin insiste sur cette culture du don que propose la communauté : « Le geste matériel qui a du sens exprime le don de soi ». Préserver un moment d'intimité festive en famille ne doit pas rendre le foyer étanche : « L'ouverture du cœur bouscule, mais entraîne à aller toujours plus loin ! »

Pascale Albier

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